top of page
  • Photo du rédacteurPSInstitut

La capacité prédictive d'un modèle systémique

Dernière mise à jour : 7 oct. 2023


Les théories de l'effondrement ont été popularisées ces dernières années, notamment par la publication du livre de Pablo Servigne et Raphaël Stevens, Comment tout peut s'effondrer (2015). Appliquées à nos sociétés, elles sont un bon exemple de modélisation d'un système complexe et de son comportement aux limites : la catastrophe éclaire les liens entre complexité, interconnexion, résilience et fragilité d'un système.


L'ouvrage fondateur de cette approche est Les limites à la croissance, connu sous le nom de Rapport Maedows, un rapport commandé au MIT par le Club de Rome et publié en 1972, soit il y a près de 50 ans.



Relire l’ouvrage (et ses actualisations successives) permet ainsi, un demi-siècle plus tard, d’évaluer la capacité prédictive d’une des toutes premières modélisations du « système monde ».


Rappelons que, contrairement à ce qui a pu lui être reproché, le rapport Maedows n’a pas « prédit » l’épuisement des réserves pétrolières en l’an 2000, non plus que d’aucune ressource non renouvelable à une date précise. Ce qu’il annonce, c’est que la croissance matérielle ininterrompue dans un monde fini conduira tôt ou tard à un « effondrement » du monde que nous connaissons (diminution brutale de la population accompagnée d’une dégradation importante des conditions de vie des survivants), et que, même en faisant l’hypothèse de découvertes technologiques à venir, d’un effort de recyclage et d’économie des matières premières, et d’un contrôle de la pollution, l’effondrement se produit tout de même, avant 2100.


Il faudrait en toute rigueur attendre jusque-là pour évaluer la justesse de la prédiction. Mais quelques auteurs ont tout de même fait le rapprochement entre les chiffres connus aujourd’hui et les prévisions de l’un des scénarios du rapport, celui dans lequel on continue à produire et consommer sans changer de politique (le scénario dit « Business As Usual »).


Une modélisation du « système-monde »

La question que posent Dennis Maedows et son équipe est celle des limites d'une croissance exponentielle (de la population, de la production) dans un monde fini en termes de ressources (terres arables, eau, matières premières dont le pétrole et le gaz). À l'époque, au début des années 1970, la croissance économique mondiale est au plus fort, celle-ci a crû d'environ 7% par an au cours des années 1960, soit un doublement en dix ans. Mais ce dont on discute le plus dans le public, c'est la croissance démographique : au début des années 1970, la population mondiale est de 3,6 milliards d'habitants et double tous les 32 ans.

Description des interactions décrites dans le modèle entre population, capital, services et ressources (source: D. Maedows & al. 1972)

Ce rapport examine plusieurs scénarios à long terme pour la planète. Pour ce faire, l’équipe dirigée par Dennis Meadows a élaboré une version étendue du modèle World2, initialement conçu par Jay W. Forrester (1971) pour convaincre le Club de Rome de l’intérêt de la démarche. Cette version étendue, baptisée logiquement World3, relie entre elles par des équations un certain nombre de variables agrégées au niveau mondial : la population, le niveau des ressources non renouvelables, la surface des terres cultivables, la production industrielle, la pollution, etc.


Les relations entre variables forment un système. Le développement économique dépend de la croissance de la production de biens, qui dépend de l'exploitation des ressources naturelles. Des boucles de rétroaction régulent le système à la manière d'un thermostat : par exemple, la croissance démographique pousse à la croissance de la consommation et donc de la production, mais l'augmentation qui en résulte de la pollution et des conflits pour l'accès aux ressources provoque une surmortalité et une baisse de la démographie, et par suite freine l'économie.


Le raisonnement met l’accent sur l’évolution exponentielle de certaines variables dans un monde qui, lui, est fini. Les matières premières, en particulier, sont limitées. La croissance cessera logiquement faute d'énergie, de ressources minières, d'appauvrissement des sols, d'épuisement des ressources vivantes, etc.


À l'époque, on commence à utiliser l'informatique pour simuler les comportements des systèmes. Les chercheurs du MIT entrent donc les données connues et les relations entre ces données dans un calculateur pour voir comment elles évoluent dans le temps.


Un premier scénario décrit l’évolution des principales variables étudiées de 1900 à 2100 en partant des ressources connues en 1970. La poursuite de la croissance conduit à un effondrement du niveau de vie (quota alimentaire par tête et produit industriel par tête) au début du XXIe siècle, avec retour en 2100 à des valeurs bien plus basses que celles en vigueur en 1900.

Modèle World3: Évolution des principales variables étudiées de 1900 à 2100 avec des ressources connues en 1970 (source: D. Meadows & al. 1972)

Les chercheurs essaient alors différentes autres simulations en introduisant des hypothèses plus optimistes concernant les différentes variables. Mais les caractéristiques d’un monde fini conduisent dans tous les cas de figure à un effondrement des courbes après une croissance exponentielle. Par exemple, si ce ne sont pas les ressources naturelles limitées qui provoquent la catastrophe, alors la croissance qu’elles permettent de la production industrielle suscite davantage de pollution, laquelle augmente la mortalité, soit directement, soit par la famine du fait de l'impact de la pollution sur la production agricole.


On trouvera les détails de ces différentes simulations dans l'ouvrage, ainsi que dans une note de lecture et un commentaire qu’en fait Jean-Marc Jancovici.


La capacité prédictive du modèle


Le modèle est rudimentaire. À l'époque, les capacités de calcul des ordinateurs sont limitées. La pollution n'est par exemple exprimée que par une seule variable, alors que les pollutions sont multiples. Jean-Marc Jancovici estime que cette réduction n'est pas tout à fait illégitime, car on peut retenir comme variable unique, par exemple, la production de gaz à effets de serre, qui est une pollution globale par nature.


Pourtant, la rusticité de ce modèle ne l’empêche pas de se révéler aujourd’hui remarquablement performant. La confrontation des simulations de 1972 avec ce qui s’est vraiment passé sur les 30-40 ans qui ont suivi semble indiquer que ce travail avait une valeur prédictive bien supérieure à celle de modèles purement économiques.


En 2008, le chercheur australien Graham Turner a l’idée de confronter les données désormais connues de la période 1970-2000 avec trois des évolutions simulées par le modèle du rapport Maedows. Il constate que les courbes des données observées au cours de ces 30 ans suivent en gros celles prévues par le scénario « baseline » (Business As Usual) du rapport.



En 2012, Graham Turner actualise son étude avec une comparaison qui court cette fois sur 40 ans, jusqu’en 2010. Ces rapprochements, certes, ne prouvent pas que les évolutions conduisent à la catastrophe. Les courbes sont pour le moment sur des pentes qui ne se sont pas encore inversées, l’inversion des tendances intervenant entre 2020 et 2030. Mais l’évolution observée jusqu'en 2010 reste très proche de l’évolution prévue.


Une remarque cependant : les pentes des courbes réelles semblent ralentir par rapport aux prévisions. On peut y voir un effet possible des crises qui sont intervenues dans la période, notamment les chocs pétroliers de 1973 et 1979, et la crise de 2008, combinant hausse des prix du pétrole, augmentation de la consommation et/ou baisse de la production. Elles ont pour effet un ralentissement de la croissance, et donc un retardement de l’évolution du système par rapport à sa simulation. C’est un effet également prévisible de l’évolution de variables à l’approche d’une limite : la croissance d’abord exponentielle s’incurve, par le jeu de boucles de rétroaction, pour s’adapter aux contraintes limitantes. Aujourd’hui, les théories de l’effondrement laissent présager une crise majeure entre 2020 et 2030, mais un ralentissement de la croissance, et corrélativement, de la pollution, de la ponction sur les ressources non renouvelables, etc. pourrait retarder l’échéance. On peut également pronostiquer que la crise économique provoquée par la pandémie de Covid-19 aura aussi un effet retardateur sur les évolutions prévues par le modèle.


Il reste que malgré sa rusticité, le modèle est plus sophistiqué que la plupart des prévisions diverses qui servent aux politiques publiques et qui reposent sur des prolongements tendanciels de variables économiques sans prise en compte de boucles de rétroaction, c’est-à-dire sans envisager la possibilité que l’évolution produise un effet perturbateur qui viendrait en modifier le cours.

Références :

bottom of page