

À paraître :
2023 - n° 2
Systèmes apprenants
Adapter - changer - muter
Apprendre est une caractéristique des systèmes ouverts, qui concourt à l’adaptation à leur environnement. L’apprentissage a au départ été étudié chez l’humain, donnant lieu à des domaines spécifiques de la psychologie, de la sociologie, et à des disciplines spécifiques, la pédagogie, la didactique, les sciences de l’éducation. L’étude des processus a été ensuite étendue aux êtres vivants en général, pour faire ressortir la fonction de l’apprentissage dans l’adaptation. L’apprentissage devient un terme éventuellement trop puissant, car on découvre que tout organisme vivant en serait capable : même un blob, dénué de cerveau, est capable d’apprendre.
Les approches systémiques permettent d’étendre la modélisation de ces processus à tout système capable de stocker et traiter l’information qu’il reçoit de son environnement, pour s’adapter à ce dernier ou agir sur lui pour l’adapter à soi. C’est ainsi qu’on peut parler d’organisations apprenantes pour des collectifs comme des entreprises ou des administrations qui profitent de leur expérience pour se développer. Ou d’intelligence collective à propos d’une colonie de fourmi qui identifie une ressource et marque le trajet pour la rapporter à la fourmilière. La formalisation permet d’appliquer les processus à l’apprentissage par les machines. Elle permet de se poser la question de savoir si les virus, bactéries, et autres pathogènes « apprennent » pour contourner les mesures barrières qui leur sont opposées.
L’approche systémique permet des va-et-vient entre disciplines, et niveaux d’échelles, avec des retours sur l’apprentissage humain. La distinction entre l'individuel et le collectif dépend aussi de l'échelle utilisée : un neurobiologiste considère métaphoriquement l'apprentissage individuel chez l'être humain ou tout autre être vivant comme un apprentissage collectif effectué par sa population de neurones.
La modélisation de l’apprentissage permet de s’abstraire des projections dont l’entache notre vision intuitive de l’apprentissage humain. Elle ouvre de ce fait aussi la réflexion sur les concepts associés.
L’un de ces concepts est la mémoire, nécessairement partie de l’apprentissage : longtemps perçue comme un stock intérieur à l’appareil cérébral, ou comme un ensemble de fichiers dans un ordinateur, elle se présente aujourd’hui comme un flux dans des réseaux. Où se situe la mémoire dans le cas de l’intelligence collective d’une fourmilière ou d’une organisation ? Et de qui ou quoi est-elle la mémoire : du collectif ou de ses agents ?
Un autre concept qui s’avère en lien avec l’apprentissage est l’identité. Une vision classique est de mettre l’apprentissage au service du maintien de l’identité et/ou de la réplication du système apprenant (son homéostasie, son autopoïèse). L’organisme ou l’organisation s’adapte, oui, mais pas trop : un système apprend pour adapter son environnement à ses propres besoins, et donc pour se développer. L’apprentissage sert l’adaptation, mais jusqu’où va cette dernière ? Est-elle adaptation de l’écosystème à ses besoins, ou acceptation de changer ? Et s’il s’agit de changer, jusqu’où le système peut-il le faire sans perdre son identité ? Quelle place l’apprentissage laisse-t-il à la possibilité d’un changement radical : la mutation, l’hybridation, la symbiose ?
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2023 - n° 2
Systèmes apprenants