Vendredi 1er décembre 2023
Université de Strasbourg
Maison Interuniversitaire des Sciences de l'Homme Alsace
Il est aujourd’hui très largement admis que la pandémie de COVID-19 a mis les systèmes de soins sous tension, à l’échelle internationale. Les ressources humaines et matérielles des hôpitaux, notamment le nombre de places disponibles en réanimation et de professionnels en capacité d’accueillir les malades, ont servi de jauge. Cela, afin de décider de la levée ou au contraire du durcissement des mesures sanitaires exceptionnelles, qu’il s’agisse des confinements au domicile, ou du port du masque sanitaire. Sur ce dernier point, l’exemple de la dépendance du système de soins français au système de production chinois a été mis à jour avec une acuité sans pareille, révélant plus largement les interdépendances entre différents systèmes à l’échelle internationale, économiques, productifs, de soins, etc.
Le système de soins constitue lui-même un sous-système du système de santé, lequel inclut la prévention des pathologies, ainsi que les principes éthiques régissant les pratiques soignantes, tels que la prise en compte de la dignité du patient et de son autonomie. Ces principes sont eux-mêmes inscrits dans la loi, les rendant contraignants pour les personnels soignants. La loi du 4 mars 2002 relative aux droits des malades et à la qualité du système de santé, institue notamment l’interdiction de tout acte médical sans le consentement libre et éclairé du patient, consentement qui peut être retiré à tout moment. La mise en application effective de ces principes est tributaire du bon fonctionnement du système politique, qui se décline à son tour en sous-systèmes : législatif élaborant la loi, exécutif chargé de sa mise à exécution, judiciaire veillant au respect de son application. La « santé » des systèmes de santé se trouve ainsi tributaire de la « santé » d’autres systèmes eux-mêmes imbriqués, économiques,scientifiques, politiques, etc.
Cette journée d’étude sollicite des contributions portant sur les systèmes de santé tels qu’ils sont déterminés dans leur fonctionnement par leur appartenance à d’autres systèmes complexes. Elle ouvre plus largement la réflexion sur la « santé » des systèmes eux-mêmes. Elle met également en discussion la définition toujours largement employée de la santé des individus et des populations, entendue comme « un état complet de bien-être physique, mental et social », selon la constitution de l’Organisation Mondiale de la Santé de 1946.
Cette même constitution précise : « La santé de tous les peuples est une condition fondamentale de la paix du monde et de la sécurité ; elle dépend de la coopération la plus étroite des individus et des États ». Loin d’une définition strictement atomiste, le texte de l’OMS ouvre la voie à une prise en compte multifactorielle de la santé, pointant de fait les interdépendances entre les niveaux d’action (individuel et étatique) et celles entre la santé, la paix et la sécurité. La définition de l’OMS n’en reste pas moins idéaliste et statique, ce qui la rend difficilement objectivable. On peut s’interroger en effet sur qui sont ces citoyens et citoyennes, pouvant se revendiquer d’un « état complet de bien-être physique, mental et social » ; tout en questionnant les critères et les seuils de « mauvaise santé » des peuples, induisant un déficit de sécurité et mettant à mal la paix dans le monde. En cela précisément, l’approche systémique pourrait permettre de proposer une définition dynamique de la santé et des rétroactions entre les systèmes. Il nous semble pertinent également d’interroger le concept de « One Health », apparu au début des années 2000. Ce concept vise à appréhender la santé humaine intégrant des interactions réciproques avec la santé d'autres systèmes comme l'environnement et la production agricole. On pense par exemple à l’utilisation d’insecticides, qui va contaminer les sols au même titre que les animaux élevés en plein air, exposant en retour l’humain qui les consomme à des risques sanitaires par zoonose.
De manière extensive, les systèmes de santé considérés dans le cadre de cette journée d’études pourront être appréhendés à plusieurs niveaux, considérés individuellement ou de manière corrélée, à savoir le niveau macro-social des systèmes de santé et soins nationaux ; de leur version territorialisée en « agences régionales de santé » dans le cas français ; d’hôpitaux ; d’EHPAD ou autres services et établissements médico-sociaux ou sociaux ; voire porter sur le niveau plus micro- social des interactions soignants-patients ; ou sur des approches holistiques de la santé individuelle. En d’autres termes, nous proposons de nous écarter de la définition institutionnelle d’un système de santé, pour l’appliquer aux organisations en charge de soigner et/ou de gérer ou planifier la prévention en santé.
Les communications pourront ainsi proposer une interprétation de ce qui est entendu par la notion de « santé » et les systèmes dans lesquels elle s’insère,de même que ce qu’il est possible d’entendre par la « santé » d’un système donné (en proposant par exemple des indicateurs et/ou une manière d’étudier les modes de rétroaction au sein des systèmes). Nous proposons plusieurs axes thématiques, dont la liste ci-après ne se veut pas exhaustive :
– Les systèmes de santé voient continuellement leur fonctionnement remis en cause et être sujet à des politiques importantes de transformations, ce qui interroge en premier lieu quant à la finalité de ces politiques : Améliorer la santé des populations et mieux soigner les individus, réduire les dépenses de santé afin de « soigner le système de santé », ou les deux de manière corrélée ? Ainsi, de manière plus générale se pose la question de la santé des systèmes (dont l’individu lui- même et ses composantes bio-psycho-sociales), de sa définition et des identités de ces systèmes. Dès lors, que peuvent nous apprendre les études de modélisation et simulation des écosystèmes sur leur fonctionnement et leur santé, comme par exemple : l’impact de la perte massive de la biodiversité sur des indicateurs socio-économiques. Comment est évalué le fonctionnement des systèmes scolaires ? Comment la « santé » des organisations, en continuelle transformation face aux défis de la digitalisation, est analysée ? En quoi les efforts de l’OMS visant à développer une approche globale des systèmes de santé, et plus récemment à travers le concept « One Health », permettent-ils d’améliorer la santé de ces systèmes ? De fait, extraire les points communs de ces approches pourrait permettre de définir ce qu’est « la bonne santé d’un système » et de mettre en évidence des stratégies d’interventions favorisant des évolutions favorables et résilientes d’un système afin de répondre à leurs missions.
– Quels sont les impacts des modes de management sur la santé des systèmes de santé, eux- mêmes tributaires de choix politico-économiques, liés notamment au New Public Management, niant les différences de mode de gestion entre structures privées et publiques ? Nous pensons par exemple à la tarification liée à l’acte(T2A), ayant vocation à évoluer vers un financement sur « Objectifs de santé publique », négociés avec les ARS, dans le milieu du sanitaire. Quelles définitions de la santé sont induites par ces modes de tarifications ? Permettent-ils une prise en soins efficiente des patients selon une perspective globale, impliquant la mise en cohérence de leurs parcours de vie, de santé et de soins ?
– Qu’est-ce que la digitalisation des champs du sanitaire, social et médico-social, génère en termes de nouvelles pratiques soignantes ou de déplacement des finalités et frontières organisationnelles ? Va-t-on vers une meilleure santé des systèmes de santé et des populations, grâce à l’« abolition du temps et de l’espace » et la traçabilité des soins induit par les technologies de la santé et de l’autonomie, dont participe la télémédecine, les systèmes d’information pour le parcours et la coordination, etc. ? Tend-on ainsi vers une abolition des déserts médicaux et un plus grand pouvoir accordé au patient quant à sa prise en soins (par le suivi de ses constantes, l’accès à des données de santé dématérialisées, etc.) ? Ou alors, va-t-on vers plus de contrôle et une accentuation de la dimension biomédicale de la prise en soins ?
– Quelle place attribuer à des approches non conventionnelles, actuellement négligées, voire rejetées, par les conceptions biomédicales dominantes relevant de l’evidence based medicine, dont l’intérêt affiché consiste à approcher la santé individuelle dans sa complexité éco-bio-psycho- sociale? A contrario, quelle épistémologie leur appliquer pour s’assurer de leur validité scientifique ?
– Quels sont les liens entre la santé des systèmes économique et/ou politique et celui des systèmes de santé ? L’ultra-individualisation de nos sociétés occidentales contemporaines conduit- elle à amoindrir la conception du collectif, lequel constitue une ressource pour chaque individu ? Si tel est le cas, comment maintenir alors les principes de solidarité intergénérationnelle et interclasses sur lesquels repose le système de protection sociale français depuis l’après-guerre, dont l’assurance maladie et plus récemment la cinquième branche de la Sécurité sociale dédiée à l’autonomie ?
La journée d’études aura lieu le 1er décembre 2023 à la Maison Interuniversitaire des Sciences de l’Homme en Alsace, allée du Général Rouvillois, 67083 Strasbourg.
Programme de la journée :
Informations : Christophe Humbert
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