Les mesures de confinement en réponse à la pandémie de covid-19 soulignent le rôle présent et futur des moyens de communication et de réunion à distance. Le télétravail n’aurait pas été possible sans la numérisation et la mise en réseau d'une bonne partie de l'activité économique. Nos smartphones, nos ordinateurs branchés sur les réseaux sociaux, nos connexions audio et vidéo par internet avec partage d'écrans, nous ont permis de rester présents aux autres visuellement et par la parole et l'écrit, à défaut de pouvoir se rencontrer physiquement. Ces technologies vont continuer à se développer, et la recherche va même s’accélérer, car tout nous fait craindre, désormais, que ce genre de pandémie se répète, avec à nouveau la nécessité de se confiner.
Des technologies pour rester présents aux autres
Les dispositifs télévisuels que nous utilisons actuellement en confinement sont ceux dont nous disposions jusque-là dans la vie quotidienne : des écrans de tailles variables nous permettent d'échanger avec les autres, y compris en réunion à plusieurs (au prix d'un partage de l'écran). Mais ces moyens de communiquer sont limités, et en fait, frustrants : on se voit en quelque sorte par une petite fenêtre, et on peut discuter, mais on ne se touche pas, on ne se déplace pas dans le même espace. Si les dispositifs doivent un jour s'adapter à des situations plus fréquentes d'isolement, il leur sera demandé, dans l’avenir, de réaliser une meilleure immersion, de simuler davantage la coprésence des interlocuteurs.
Plusieurs directions de développement sont imaginables. On peut faire évoluer la technologie des « murs d’images ». L’idée, dans ce cas, est d’augmenter la taille de l’écran jusqu’à effacer les limites du cadre, et faire disparaître l’effet fenêtre : l'écran occupe toute la surface d'un mur, et les technologies de prise de vue et de restitution de l’image devraient évoluer pour donner l'impression que l'interlocuteur et son environnement sont juste dans la pièce à côté, séparés de nous par une vitre.
Une autre direction de recherche explore la représentation holographique : l'image de notre interlocuteur apparaît en 3D dans notre propre espace physique. Une autre enfin, est la Réalité Virtuelle (VR pour Virtual Reality), technologie qui permet la coprésence de tous les interlocuteurs dans un espace de synthèse, par l'intermédiaire de lunettes et gants haptiques : il est possible de se voir et se parler, mais aussi de se toucher, se mouvoir les uns autour des autres, et manipuler ensemble des objets virtuels.
Jusqu’à présent, la VR montrait son intérêt dans des situations précises, et assez limitées, là où la coprésence physique n’était pas possible ou dangereuse : opérations à distance (collecte d’échantillons sur la Lune ou sur Mars, téléchirurgie), apprentissage en situation simulant un environnement dangereux ou sensible (salle blanche d’un laboratoire ou d’une entreprise de précision, enceinte de confinement d’une centrale nucléaire). Dans le grand public, elle tenait encore du gadget pour geek amateur de jeux vidéo en immersion. Désormais, elle s’impose comme une éventualité à ne pas écarter dans une vision du futur où les mesures de confinement et l’isolement des individus pourraient se répéter…
Le programme EVA
Depuis 2018, PSI participe à un programme de recherche intitulé EVA (pour Environnement Virtuel d’Apprentissage) destiné à évaluer ce que peuvent apporter les dispositifs de réalité virtuelle au plan pédagogique. EVA est financé par la région Grand Est, et associe au sein d’un consortium de R&D deux sociétés strasbourgeoises spécialisées en solutions de réalité virtuelle, Blakmill et BVR, et trois équipes de recherche, en sciences de l'éducation et en informatique, celle de PSI et celles des laboratoires LISEC et iCube de l'Université de Strasbourg. L’Académie de Strasbourg et le réseau Canopé apportent leur concours en impliquant enseignants et élèves volontaires dans un dispositif pédagogique expérimental.
Blakmill et BVR mettent au point le dispositif technique proprement dit, qui utilise l’immersion collective et synchrone en environnement virtuel pour permettre à des participants distants d’interagir entre eux et avec les artefacts de l’environnement. Cet outil permet de créer en 3D un parcours immersif d'exploration et d'enquête dans un espace tel qu'un monument historique ou un site industriel. La Commission numérique histoire & géographie de l'Académie de Strasbourg a conçu un scénario pédagogique (le site retenu est le port autonome de Strasbourg) qui intègre l'environnement virtuel à un programme d’enseignement. Des enseignants du réseau Canopé vont participer à l'expérimentation en classe de la séquence d'immersion. C’est à cet endroit qu’interviennent les chercheurs de PSI et des équipes universitaires. Il s’agit d'étudier, au moyen d'un protocole précis d'expérimentation et d'observation, l'activité et le ressenti des différents acteurs immergés (élèves, enseignants) afin de déterminer ce que ce type de technologie peut apporter aux apprentissages et à l'enseignement.
Un environnement virtuel, outre qu'il permet à des participants distants d'évoluer dans le même espace, autorise par surcroît de configurer ce dernier pour en faire une sortie de classe sur le terrain, et y introduire des objets virtuels manipulables qui sont autant de ressources supplémentaires pour l'enseignant. On peut imaginer, par exemple, qu’un cours d’astronomie soit dispensé à un groupe classe en permettant à ce dernier de se déplacer parmi les planètes du système solaire. Les apports pédagogiques pressentis sont nombreux : attrait des élèves pour la nouveauté, immersion, interaction avec l’objet étudié, dimension ludique...
Mais il faut également se garder de la fascination pour le gadget, qu'exercent souvent les nouvelles technologies. Le but du programme de recherche en sciences de l'éducation est de vérifier que l'immersion et la coprésence de participants distants apportent un réel « plus » pédagogique par rapport à un cours en présentiel.
Le confinement déplace notre angle de vue
Par rapport à cet objectif de recherche, la crise sanitaire et les mesures de confinement sont un événement dont il faut tenir compte, car elles incitent à un déplacement de l’angle de vue. Dans une société confinée, la question est-elle encore d’améliorer le présentiel par le virtuel, ou bien est-elle, plus radicalement, d’avoir à passer au virtuel de toute façon ?
L'avenir est désormais porteur de menaces, avec d’autres crises possibles ultérieurement, pour cause de pandémie ou de toute autre catastrophe environnementale, qui pourraient exiger des mesures d'isolement plus sévères encore.
Mais le confinement n'est qu'un aspect, extrême et spectaculaire, de l'isolement. Depuis des décennies, nos sociétés produisent des formes plus quotidiennes de distanciation. Le confinement peut être psychologique : c’est le repli sur soi, par timidité ou inhibition, des personnes qui ont besoin des jeux en ligne ou des sites de rencontre pour faire connaissance avec d'autres. C'est aussi l'isolement géographique, qui oblige les habitants de banlieues ou de régions reculées à se déplacer pendant des heures pour rejoindre un lieu de travail ou une réunion.
C’est, à l'origine, cette question de l'isolement qui a motivé le programme EVA. De nombreuses écoles ferment dans les campagnes, par impossibilité de regrouper un nombre suffisant d’élèves dans une commune. Il s’agirait de répondre grâce à la VR à cette forme de confinement aussi. Comment permettre à des enfants d'âge scolaire isolés dans des villages sans école, de participer à distance, mais comme s'ils y étaient, à un enseignement donné dans un établissement ? Serait-il possible de constituer des classes dont une partie des élèves sont présents physiquement, tandis que d'autres le sont à distance, par l'intermédiaire d'un dispositif qui assure la téléprésence de tous les uns aux autres?
L’un des intérêts de la VR serait ainsi à la fois pédagogique et citoyen : rétablir l’égalité des territoires. Un intérêt qui reste à évaluer, en même temps que son coût, industriel, énergétique, environnemental, social et psychologique. Car il faut aussi le mettre en balance avec les autres stratégies, alternatives ou complémentaires, dont la crise sanitaire a montré la pertinence : à commencer par le réinvestissement dans le local.